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La Vigne

Protection contre le gel de printemps

Ce qu’il faut retenir des expérimentations en Champagne

Avec l’arrivée du gel, les plantes sensibles sont susceptibles d’être endommagées. L’un des effets les plus contre-intuitifs du changement climatique est l’augmentation de la fréquence des gelées de printemps. Des études ont mis en garde contre ce problème (Inouye, 2008)1, décrivant un débourrement plus précoce en raison de températures plus élevées pendant l’hiver alors que le dernier jour de gel reste à peu près à la même date. Le risque de déstabilisation du vortex polaire et du courant-jet associé par un réchauffement rapide a également été mentionné (Molitor et al., 2014)2. Depuis 2016, les vignobles d’Europe occidentale ont subi des dommages dus au gel presque chaque année (Rochard et al., 2019)3.

Introduction

Le gel se présente sous forme de gel radiatif ou de gel advectif3. Le gel radiatif est le plus fréquent au printemps et peut se produire dans des conditions anticycloniques, sous un ciel clair et lorsque la vitesse du vent est faible. L’air froid s’écoulera vers les basses altitudes, et une couche d’inversion se formera avec des températures négatives à la hauteur des plantes4.

Le gel advectif est associé à une masse d’air froid. Il se caractérise par la présence de vent et généralement par une faible humidité relative. Les épisodes de gel advectif les plus dangereux sont ceux précédés de pluie ou de neige5 à cause de l’évaporation qui va directement diminuer la température des bourgeons. Ce type supplémentaire de gel est souvent appelé gel par évaporation. La plupart du temps, les gelées dangereuses sont une combinaison de gelées advectives et radiatives. En raison de sa position septentrionale, la Champagne est régulièrement touchée par le gel (figure 1) et possède donc une grande expérience en matière de protection contre le gel. Depuis la fin du XIXe siècle, les vignerons champenois ont essayé de lutter contre le gel avec différentes techniques. L’Association Viticole Champenoise, puis le Comité Champagne, ont mené des expériences depuis le début des années 1930 afin de trouver des techniques de protection pour lutter contre ce fléau5.

 

Figure 1. Pourcentage annuel de bourgeons gelés dans l’appellation Champagne.

 

Méthode d’évaluation de l’efficacité

Pour évaluer son efficacité, une technique donnée est suivie dès son application et jusqu’aux vendanges. Pour enregistrer les températures lors d’un épisode de gel, une ou plusieurs sondes de température sont installées dans les vignes, selon la technique utilisée. Immédiatement après un épisode de gel, un comptage des bourgeons est effectué pour évaluer le pourcentage de bourgeons gelés dans la modalité témoin et dans les modalités protégées d’une parcelle. La fertilité des bourgeons secondaires dépend du cépage ; par conséquent, des comptages de grappes sont effectués pour évaluer la différence entre le témoin et la partie protégée. Enfin, le poids des grappes est évalué pour déterminer l’impact sur le rendement.

 

Coût d’investissement et d’utilisation

Tous les systèmes ne protègent pas la même surface, et une même technique peut être vendue à des prix différents selon le vendeur. Une étude de marché a été réalisée pour différentes échelles de parcelles.

 

Durabilité

Toutes les techniques ont été évaluées en appliquant un processus d’analyse du cycle de vie pour déterminer quelles options choisir, remplacer ou conserver, afin de diminuer l’empreinte carbone de la protection contre le gel.

Résultats

Protection passive

La protection passive commence avant la plantation par une analyse de la topographie du vignoble. L’objectif est de limiter les risques de gel radiatif qui toucheront principalement les zones basses. Cela dit, le choix du cépage et du porte-greffe est essentiel pour limiter les risques de gel. Dans les zones à haut risque, il est nécessaire de choisir un cépage au débourrement tardif et greffé sur un porte-greffe qui ne confère pas de précocité au greffon.

Il est également essentiel d’éviter les murs, talus ou haies placés perpendiculairement à la pente. Cela limitera le risque d’accumulation d’air froid.

La protection passive peut également être assurée par la mise en œuvre de certaines pratiques de gestion du vignoble, telles que la taille, l’installation de couverts végétaux ou le travail du sol. Une expérience de taille tardive (novembre vs mars) menée de 1985 à 1993 en Champagne6 a retardé le débourrement d’environ 10 à 12 jours selon le cépage (Pinot noir, Chardonnay) et la méthode de taille (Guyot simple, Chablis, Cordon de Royat). En 2021 et 2022, la même expérience a été réalisée sur Chardonnay avec deux dates de taille (1er novembre vs 1er avril) et deux méthodes de taille (Guyot simple vs Chablis). Un retard moyen de 11 jours a été observé sur Guyot simple et de 8 jours sur Chablis. Une autre tâche liée à la taille est le liage. Pour certaines méthodes de taille (Guyot simple, Chablis), le fait de laisser les sarments non liés peut entraîner un gain de 20 à 30 cm de hauteur. Lors d’une gelée radiative, cette différence peut correspondre à des températures plus élevées de 1 °C, voire 2 °C à la hauteur du bourgeon distal7.

Le travail du sol augmente la libération de l’humidité du sol et la température à 40 cm au-dessus du sol peut être inférieure de 3 °C à celle du sol nu non perturbé6. Étant donné que l’humidité augmente la sensibilité d’un bourgeon au gel8, retarder le travail du sol lorsqu’un épisode de gel est prévu limitera le risque de gel.

A la surface d’un sol couvert d’une herbe dense et haute, la température sera inférieure de 2 °C à celle d’un sol nu ou couvert d’une herbe courte7. Lorsqu’un épisode de gel est prévu, un fauchage trois à quatre jours avant l’événement peut limiter l’impact du gel et la libération d’humidité.

La mise en place d’une réserve individuelle, comme le fait la Champagne depuis 2007, permet aux viticulteurs de stocker une certaine quantité de vin d’une ou plusieurs années précédentes pour l’utiliser les années suivantes. C’est un moyen efficace de maintenir la qualité et d’amortir les variations de rendement dues aux aléas météorologiques comme la grêle ou le gel. Grâce à cette solution, l’utilisation de méthodes de protection contre le gel a diminué en Champagne, réduisant ainsi les impacts environnementaux associés.

 

Protection active

Toutes les techniques mentionnées ci-après ont été testées pendant au moins cinq ans en Champagne.

 

Aspersion

Lorsque l’eau gèle, de l’énergie est libérée sous forme de chaleur (80 kcal/L). Le principe de la protection contre le gel par aspersion est donc de former une couche de glace "humide" ou en surfusion. L’eau apportée en permanence gèle et libère de la chaleur dans les tissus de la vigne qui restent au-dessus d’une température létale. Cette méthode est l’une des plus efficaces (protection jusqu’à 100 %) mais demande une grande maîtrise, Car commencer trop tard implique la formation d’une couche de glace qui sera en-dessous de la température létale pour la vigne. De plus une surveillance accrue est nécessaire pour vérifier que les tuyaux et les gicleurs ne gèlent pas. Si un réservoir ou une exploration de l’eau sont nécessaires, le coût peut tripler ou quadrupler. L’empreinte carbone de la méthode dépend de la technologie de la pompe à eau, mais elle est faible, même avec un moteur à essence. Le problème principal de cette méthode est qu’elle nécessite l’accès à une grande quantité d’eau en raison de sa consommation élevée (40 m3/h/ha). Une évaluation environnementale d’autres facteurs liés à la méthode, comme le lessivage ou l’érosion, est en cours.

 

Combustibles

Différents types de combustibles peuvent être utilisés dans des chaufferettes pour produire de la chaleur afin de maintenir la température de l’air au-dessus d’un niveau létal. L’efficacité de cette technique dépend de quatre facteurs principaux : le pouvoir calorifique, le rendement énergétique de la chaufferette, la vitesse du vent et la densité des chaufferettes dans la parcelle. Par exemple, 200 chaufferettes à fioul par hectare sont nécessaires pour maintenir une température non létale lors d’un épisode de gel de - 6 °C sans vent (protection de 95 %). La plupart des entreprises françaises ont cessé de produire des chaufferettes à fioul et une seule produit encore des chaufferettes à gaz, leur coût a donc explosé depuis 2017. Les autres inconvénients liés à cette méthode sont son empreinte carbone très élevée (consommation de 400 L/ha/h de fioul) et les particules polluantes et nocives qui sont rejetées dans l’air.

L’utilisation des bougies repose exactement sur le même principe que les chaufferettes. La paraffine est brûlée pour produire de la chaleur et maintenir la température de l’air au-dessus d’une valeur non létale. La densité des bougies doit être plus élevée que celle des chaufferettes en raison de leur moindre efficacité. Pour maintenir la température lors d’un épisode de gel de - 6 °C sans vent, 500 à 600 bougies par hectare sont nécessaires (protection de 90 %). En avril 2022, le coût en France était de 10 à 13 euros par bougie. Sachant que la paraffine est issue du pétrole, l’empreinte carbone n’est pas compatible avec une viticulture durable.

Depuis 2018, quelques chaufferettes à granulés de bois sont testées en Champagne. Le principe et le rendement de cette technique sont les mêmes que pour les chaufferettes à fioul pulvérisé. La densité est également la même, avec 200 chaufferettes par hectare pour un gel dont la température est d’environ - 6 °C (protection à 95 %). L’investissement est d’environ 40 000 euros par hectare. La consommation de granulés est d’environ 3 tonnes par nuit et par hectare.

 

Eoliennes

Les éoliennes dépendent d’une couche d’inversion se produisant lors d’un gel radiatif. Leur efficacité dépend donc du type de gel. Avec une inversion thermique lors d’un gel radiatif, l’air chaud peut se trouver à quelques mètres du sol, à une hauteur accessible à l’éolienne. L’objectif est de brasser les couches d’air chaud et froid pour maintenir la température au-dessus du seuil létal pour les bourgeons. Le gain moyen est d’environ 1 °C à une distance de 100 m pour une éolienne fixe. Le gain peut être amélioré pour atteindre 3 °C avec l’ajout d’une chaufferette. Le coût est d’environ 45 000 euros pour une éolienne fixe sans chaufferette. L’empreinte carbone dépend de la puissance du moteur. Le principal problème des éoliennes est qu’elles ne fonctionnent pas si la couche d’inversion se trouve bien en hauteur ou pendant une gelée advective. Le bruit peut également déranger les éventuels voisins.

 

Eliciteur pulvérisé

Le PEL-101-GV est un éliciteur testé de 2004 à 2013 en Champagne. Le principe est d’augmenter la résistance de la plante au froid par un procédé breveté. L’efficacité dépend du stade phénologique et va de 0 % avant le stade d’une feuille, à 0 - 50 % après ce stade, pour un gel de - 2,5 °C. Le coût est d’environ 200 euros par application. L’empreinte carbone est la même que celle de tout type d’application par pulvérisation.

 

Câbles chauffants

Des câbles électriques chauffants ont été testés en Champagne de 1992 à 2003. L’expérimentation de nouveaux types de câbles a repris en 2017 et est toujours en cours. Les câbles sont attachés à proximité des sarments, ce qui signifie qu’en Champagne, ce type de protection n’est possible que pour les méthodes de taille Guyot simple et Cordon de Royat. Les résultats montrent une efficacité de l’ordre de 70 à 90 % pour un gel radiatif de - 4 °C et qui peut descendre à 30 % pour un gel advectif de - 8 °C. Le coût est compris entre 45 000 euros et 100 000 euros par hectare, sans intégrer le prix d’un générateur électrique. Le principal problème de ce type de protection est le besoin très important en puissance (au moins 200 kW/ha). L’empreinte carbone dépend de la méthode de production d’électricité.

Conclusion

Le choix d’une méthode de lutte contre le gel doit être adapté aux conditions locales (par exemple, la topographie, le microclimat et la fréquence des gelées), au contexte économique (par exemple, le prix de vente du vin et la tendance du marché) et au contexte environnemental (par exemple, le bruit, le ruissellement, les émissions et l’empreinte carbone).

Tableau comparatif des différents systèmes étudiés.   
GR = gel radiatif     GA = gel advectif

Bibliographie

1. Inouye, D. W. (2008). Effects of climate change on phenology, frost damage, and floral abundance of montane wildflowers. Ecology, 89(2), 353-362. https://doi.org/ 10.1890/06-2128.1

2. Molitor, D., Caffarra, A., Sinigoj, P., Pertot, I., Hoffmann, L., & Junk, J. (2014). Late frost damage risk for viticulture under future climate conditions: a case study for the Luxembourgish winegrowing region. Australian Journal of Grape and Wine Research, 20(1), p. 160-168.

3. Rochard, J., Monamy, C., Pauthier, B., & Rocque, A. (2019). Stratégie et équipements de prévention vis-à-vis du gel de printemps et de la grêle. Perspectives en lien avec les changements climatiques, projet ADVICLIM. In BIO Web of Conferences (Vol. 12, p. 01012). EDP Sciences.

4. Hu, Y., Asante, E. A., Lu, Y., Mahmood, A., Buttar, N. A., & Yuan, S. (2018). Review of air disturbance technology for plant frost protection. International Journal of Agricultural and Biological Engineering, 11(3), p. 21-28.

5. Pauthier, B., Debuisson, S., & Descôtes, A. (2018). Comment lutter contre le gel de printemps ? Le Vigneron Champenois, (3), p. 51-59.

6. Langellier, F., & Panigai, L. (1999). Lutte contre les gelées de printemps : nouveaux acquis. Le Vigneron Champenois, 120(3), p. 65-79.

7. Association Viticole Champenoise. (1991). Les gelées de printemps. Hors série, Le Vigneron Champenois.

8. Itier, B., Flura, D., Brun, O., Luisetti, J., Gaignard, J. L., Choisy, C., & Lemoine, G. (1991). Analyse de la Gélivité des Bourgeons de Vigne. Expérimentation in situ sur le Vignoble champenois. Agronomie, 11(3), p. 169-174.

9. Association Viticole Champenoise. (1991). Les gelées de printemps. Hors série, Le Vigneron Champenois.

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Le contenu de cet article est réservé aux Vignerons et Maisons ressortissants du Comité Champagne et aux abonnés à la version papier.

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