""

Le Vin

Transferts d’oxygène par les capsules de tirage

Faut-il encore souligner le rôle majeur de l’oxygène (dioxygène - O2) dans l’élaboration de nos vins de champagne ? Trop longtemps négligé ou méconnu, il prend désormais une place prépondérante dans l’œnologie moderne. Il est communément admis que l’oxygène tient le rôle principal dans les phénomènes d’oxydation qui conduisent au vieillissement des vins.

La maîtrise de l’oxygène doit préoccuper le vinificateur lors des étapes dynamiques (par exemple au dégorgement), lors desquelles le vin peut subir un choc oxydatif néfaste à la qualité. Mais les étapes statiques n’en sont pas moins importantes : c’est le cas de l’élevage sur lattes. Pendant de longues années, alors que rien ne semble avoir d’emprise sur le vin, hormis le temps, des micro-transfert d’oxygène s’effectuent à travers le bouchage de tirage et façonnent le profil sensoriel du vin. La maîtrise de ces échanges gazeux est désormais rendue possible par  l’utilisation de capsule couronne à joint synthétique. Cet article met à jour les données présentées en 2014 dans Le Vigneron Champenois (1), pour les capsules de tirage présentes sur le marché en 2019.

A l’origine du transfert : le gradient de pression et un bouchage "perméable" aux gaz

Pourquoi l’oxygène rentre-t-il dans la bouteille ? Le fonctionnement est simple :
- d’un côté le vin, qui a la capacité de consommer l’oxygène dissous (un vin sur lattes présente une teneur en oxygène quasiment nulle),
- de l’autre l’environnement de la bouteille (l’atmosphère de la cave composée d’environ 21 % de dioxygène),
- entre les deux, le bouchage de tirage.

Il existe ainsi de part et d’autre du bouchage deux milieux qui ne sont pas à l’équilibre et qui forment un gradient de pression partielle en O2. Ce gradient est le moteur du transfert d’oxygène vers le vin.

Entre le vin et le milieu extérieur, le système de bouchage constitue l’interface qui permet des micro-transferts de gaz, selon la loi de Fick. Chaque système de bouchage peut être caractérisé par une valeur d’OTR (Oxygen Transmission Rate), qui reflète sa "capacité barrière à l’oxygène". La valeur d’OTR peut être définie comme la quantité d’oxygène qui traverse le bouchage par unité de temps.

Quelle(s) conséquence(s) sur les vins ?

La conséquence notable est un profil sensoriel qui évolue dans le temps, selon la quantité d’oxygène qui est entrée par le bouchage. La démonstration la plus explicite est bien celle des capsules de tirage mises en œuvre sur un même vin. Après plusieurs mois de vieillissement, les dégustateurs distinguent les vins sur une échelle d’oxydation (2, 3) : c’est ce qu’on appelle le bouquet de vieillissement.

Hier, l’enjeu était de s’assurer de l’homogénéité de cet apport d’oxygène pendant l’élevage sur lattes. Pour cela les joints synthétiques ont remplacé avec succès les joints en liège. Aujourd’hui, l’enjeu est de quantifier précisément ces transferts, pour rationaliser, demain, le choix de la capsule de tirage.

La capsule de tirage

Le bouchage de tirage comprend trois éléments interdépendants (figure 1) :
- la capsule couronne,
- le bidule (obturateur en polyéthylène),
- la bague couronne de la bouteille en verre (selon NF H35-029).

L’ensemble doit assurer l’étanchéité au liquide et contrôler les échanges gazeux, du tirage au dégorgement. Le couple capsule-bidule constitue la fourniture principale (pour en savoir plus : Guide qualité bidules et capsules, 4). Par quelques contrôles dimensionnels simples, l’élaborateur peut vérifier la bonne conformité du bouchage de tirage après sa mise en œuvre (pour en savoir plus : Guide de l’embouteillage n° 3 - CETIE, 5).

Figure 1. Dessin en coupe du bouchage de tirage.

 

On distingue la coque de la capsule, qui est la partie métallique emboutie, du joint situé à l’intérieur, venant en contact avec la bague verre. Les capsules à coque aluminium sont les plus utilisées en Champagne bien qu’elles soient disponibles également en fer ou en inox.

Le joint synthétique

Il en existe deux types :
- le joint dit "coulé-moulé", dont la géométrie est spécifique au fournisseur,
- le joint dit "rapporté" sous forme de disquette (figure 2).

Figure 2. Le joint synthétique est de type coulé-moulé (à gauche) ou rapporté (à droite).

 

Les joints synthétiques sont issus de formulations différentes (polymère alimentaire avec ou sans PVC, mousse de polyéthylène recouverte de films barrières, etc.). La constitution du joint et la qualité de pose de la capsule régissent les transferts de gaz par rapport au gradient de pression donné. La présence du bidule n'influence pas le transfert d’oxygène à travers le système de bouchage.

A ce jour une quinzaine de références commerciales, destinées au tirage des flacons à bague 29 mm (demies, bouteilles, magnums), sont distribuées sur l’aire d’appellation Elles offrent à l’élaborateur autant de possibilités pour trouver l’adéquation vin-capsule optimale selon les caractéristiques des assemblages tirés, les conditions de vieillissement et le profil sensoriel souhaité.

Quantifier les entrées d’oxygène à travers le bouchage

Les méthodes de mesure

Plusieurs méthodologies permettent de mesurer les transferts d’oxygène à travers le bouchage. Parmi elles, celles décrites précédemment dans Le Vigneron Champenois (1, 3, 6) : la coulométrie (Oxtran-Mocon®) et la chimiluminescence.

En 2015, le Comité Champagne s’est doté d’un nouvel outil appelé NomaSenseTM O2 P6000. Il utilise également le principe de la chimiluminescence.  Les capteurs (Pst3-NomaSenseTM) ont une limite de détection de 15 µg/L.

Figure 3. Mesure de l'oxygène dissous par chimiluminescence (NomaSenseTM).

 

L’équipement qui permet une mesure non invasive de l’oxygène en bouteille est similaire à l’ancien, déjà largement décrit (figure 3). Un capteur est placé dans la bouteille blanche vide, avant sa mise en œuvre. Le dispositif permet d’effectuer soit une mesure de la pression partielle d’oxygène dans un espace de tête (en hPa), soit une mesure de la concentration d’oxygène dissous dans le liquide (en mg/L).

Pour quantifier précisément les transferts d’oxygène dans le temps, les mesures ne peuvent pas être effectuées sur le vin. En effet dans la majorité des cas, la vitesse de consommation de l’oxygène par le vin est nettement supérieure à l’apport traversant le bouchage. Par conséquent, pour mesurer une accumulation d’oxygène en bouteille il est nécessaire de remplacer le vin par de l’eau. Afin de mimer la prise de mousse, cette eau est ensuite carbonatée pour obtenir une pression voisine de 8 bars à 20 °C (figure 4).

Figure 4. Dispositif de mise en pression et inertage des bouteilles.

 

Monitoring des principales références

L’étude a été réalisée sur 12 références commerciales de capsules de tirage, issues de 4 fournisseurs. Chacune comportait 5 répétitions. La qualité des fournitures est considérée comme représentative de la référence utilisée. La mise en œuvre des fournitures s’est effectuée selon les règles de l’art exposées dans le Guide CETIE n° 3 (5) avec un sertissage standardisé et contrôlé. Les bouteilles ont été stockées couchées en cave (à pression atmosphérique), à une température de 15 °C +/- 1, et à l’abri de la lumière.

L’accumulation d’oxygène en bouteille a été suivie par des mesures régulières pendant 414 jours. La mesure est effectuée dans le liquide après mise  à l'équilibre des phases (agitation 15 min.). Des calculs (basés sur la loi des gaz parfaits et la loi de Henry) permettent de déduire la quantité totale d'oxygène présente en bouteille.

Cinétiques et valeurs d’OTR associées

La figure 5 représente la quantité totale d’oxygène (en µg) entrée dans la bouteille à travers la capsule. Chaque valeur correspond à la moyenne des 5 répétitions, avec l’écart-type associé, pour les 12 références testées.

La modélisation du transfert d’O2 par une droite de régression (dont le coefficient de corrélation R²>0,97) permet de déduire un OTR moyen pour chaque référence, associé à un écart-type. Il est exprimé en mg/an. Le tableau 1 présente les résultats obtenus.

Ce monitoring a permis de quantifier précisément l’oxygène apporté au vin par l’intermédiaire de la capsule. Cette quantité varie de 0,2 à 1,0 mg/an pour une capsule aluminium en bague 29 mm et les conditions d’utilisation décrites.

Comparaison des résultats à une méthode normée

Depuis 2014, la chimiluminescence est adoptée au Comité Champagne comme principe de référence pour caractériser l’OTR des obturateurs. La méthode associée présente l’avantage de mimer le process de prise de mousse (pression) et de suivre les entrées d’oxygène en bouteille sur un temps relativement long. Il est cependant intéressant de croiser les résultats avec une méthode normée (ASTM F1307), utilisée par les fournisseurs de capsule, et proposée par le Laboratoire National d’Essai (LNE).

Il est important de préciser que les conditions de mesure s’éloignent des conditions réelles de vieillissement en cave. Par exemple, l’OTR est évalué avec :
- un gaz pur (100 % d’oxygène),
- une absence de pression CO2 sur la capsule,
- une mesure de débit sur quelques heures.

Les valeurs obtenues en cm3/24  h à 15 °C sont présentées dans le tableau 2. Une référence supplémentaire a été ajoutée.

Les valeurs sont comprises entre 0,0007 et 0,0087 cm3/24 h d’O2 à 15 °C. La limite de quantification est de 0,0005 cm3/24h.

Les résultats d’OTR du LNE sont cohérents par rapport aux données déjà connues et publiées précédemment (1, 7). Ils confirment l’existence d’une corrélation entre les valeurs des tableaux 1 et 2 et permettent d’estimer l’OTR réel de la capsule à partir de la valeur du LNE.

Tableau 1. OTR des capsules de tirage obtenu par chimiluminescence (en mg/an) et écart-type (ET) à 15 °C.
Tableau 2. OTR des capsules de tirage obtenu par colométrie Oxtran-Mocon® (en cm3 /24h) et écart-type (ET) à 15 °C

 

La conversion directe des valeurs du LNE en mg/an n’est pas fidèle car les  conditions expérimentales sont différentes. Ce constat souligne encore une fois l’importance du gradient de pression comme moteur de l’échange à travers la capsule.

Exhaustivité des références présentées

Depuis la dernière publication en 2014 (1), certaines références ont disparu, comme les fournitures CROWN CORK (BO, Nova, Médiane). De nouvelles sont apparues (ex. Neptune, Scel-Mix) ou n’ont pas pu être modélisées (par exemple Oxysorb qui comporte un composé qui piège l’oxygène). D’autres n’ont pas intégrées cette étude mais sont toujours disponibles à la demande (ex. Bar, Poly-mini). Toutes ces références existent en coque aluminium pour bague 29 mm.

Le choix de la capsule

Comment choisir sa capsule de tirage ? Le sujet a déjà été traité dans les articles précédents (2, 3, 7). Un essai mené par vos soins vaut mieux qu’un long discours : faites le test ! L’impact sensoriel est perceptible quelques mois après tirage et se confirme avec les années. La dégustation n’a pas son équivalent pour juger dans sa globalité l’impact d’un bouchage sur votre vin ! Car nombreux sont les paramètres qui contribuent au vieillissement du vin (la matrice vin, le bouchage, les conditions de stockage...).

Il est à noter que certaines formulations de joints peuvent être communes entre les références commerciales des différents fournisseurs. Les résultats d’OTR peuvent comporter de très légères différences, selon la fabrication, la mise en œuvre (machinabilité) de la fourniture, ou la méthodologie de mesure.

Figure 5. Oxygène accumulé en bouteille au cours du temps à 15 °C - 12 capsules.

Conclusion

L’évaluation des OTR du bouchage couronne de tirage est désormais assurée par un nouvel appareillage de chimiluminescence appelé NomaSenseTM.

Le classement établi et les valeurs obtenues sont cohérents par rapport aux données acquises précédemment sur le sujet avec l’Oxysense® et l’Oxtran-Mocon® (LNE). Les valeurs d’entrées d’oxygène sont désormais exprimées en mg/an à 15 °C.  Ces valeurs reflètent plus précisément la quantité d’oxygène qui est donnée au vin pendant son vieillissement sur lattes dans des conditions de cave standardisées, pour un flacon bague 29 mm. Les capsules de tirage présentent sur le marché champenois assurent des entrées d’oxygène en bouteille comprises entre 0,2 et 1,0 mg/an à 15 °C (figures 6 et 7). Cette micro-oxygénation du vin à travers le bouchage participe à l’évolution maîtrisée et homogène d’une cuvée. La capsule de tirage s’impose donc aujourd’hui comme un outil œnologique simple, performant et accessible au plus grand nombre.

 

Figure 6. Entrées d'oxygène par le bouchage de tirage (mg/an à 15 °C). 13 capsules sur le marché champenois en 2019. Classement par ordre décroissant.

 

Figure 7. Entrées d'oxygène par le bouchage de tirage (mg/an à 15 °C). 13 capsules sur le marché champenois en 2019. Classement par fournisseurs

Bibliographie

Les capsules de tirage. Leur caractérisation par mesure des transferts d’oxygène par chimiluminescence. Tribaut-Sohier I., Valade M., Moncomble D. Le Vigneron Champenois, 2014, mars, p. 32-49.

Capsules de tirage et vieillissement des champagnes. Tribaut-Sohier I., Valade M. Le Vigneron Champenois, 1999, n° 2, p. 47-62.

Capsules de tirage à joint synthétique : des fournitures très importantes. Valade M., Tribaut-Sohier I. Le Vigneron Champenois, 2001, n° 11, p. 50-77.

Guide qualité bidules en polyéthylène et capsules couronne coque métallique pour bouchage de tirage, bagues verre 29 mm et 26 mm. Disponible sur l’extranet.

Guide de l’embouteillage n° 3. Bouchage de tirage et d’expédition de vins mousseux de qualité produits dans des régions déterminées (VMQPRD) sur bague couronne verre 29 et 26 mm (NF H35-029). En cours de révision.

La mesure de l'oxygène dans les bouteilles par chimilumescence. Bunner D., Landrieux A., Valade M., Langleron E., Tribaut-Sohier I., Moncomble D. - CIVC et Viaux L. - Bourdelet Walter L. - Chaperon V. - Gouez B. Direction Qualité et Développement de Moët & Chandon. Le Vigneron Champenois, 2010, n° 1, p. 84-102.

Les capsules de tirage à joint synthétique commercialisées en Champagne. Tribaut-Sohier I., Valade M., Moncomble D. Le Vigneron Champenois, 2011, n° 11, p. 76-80.

Éditions abonnés

Le contenu de cet article est réservé aux Vignerons et Maisons ressortissants du Comité Champagne et aux abonnés à la version papier.

À Lire aussi ...

Éditions abonnés

Le contenu de cet article est réservé aux Vignerons et Maisons ressortissants du Comité Champagne et aux abonnés à la version papier.