Aphromètre.

Le Vin

La réussite de la prise de mousse (Partie 1)

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Le succès de la prise de mousse se construit essentiellement en trois points :

- la préparation de la mixtion ou calcul du point de tirage,

- le contrôle de certains paramètres physicochimiques du vin de base (pH, SO2 et température essentiellement),

- la préparation d’un levain de qualité qui garantira à la fois une population levurienne suffisante (1 à 2 millions de cellules vivantes par millilitre de vin tiré) et des cellules dans un bon état physiologique pour assurer la prise de mousse.

Dans la première partie de cet article, nous aborderons le premier point qui se limite à un simple calcul, destiné à ajuster la quantité de sucre nécessaire pour obtenir la pression souhaitée. Le second est de contrôler ou faire contrôler par un laboratoire certains paramètres analytiques du vin, le pH et le SO2 essentiellement, puis de s’assurer de la température du vin mis en bouteilles et de celle du local de prise de mousse. Dans les petites structures et pour les tirages en prestation, l’œnologue conseil et son laboratoire se chargent, en général, du contrôle de ces deux points.

Le dernier point, la préparation du levain sera traitée dans la deuxième partie de l’article. Elle est certainement l’étape la plus délicate, car elle est basée sur la culture d’organismes vivants (les levures) par nature plus difficilement contrôlables. Cette préparation des ferments est à la charge de l’élaborateur sur la base de protocoles fournis par nos services (le dernier date de 2007) ou de versions dérivées établies par les laboratoires.

Ces sujets sont abordés de façon assez synthétique, les données bibliographiques référencées à la fin des articles permettront d’apporter les compléments nécessaires, si besoin.

La préparation de la mixtion

La mixtion est l’opération qui consiste à mélanger le vin de base, le levain, les adjuvants (adjuvants de remuage et éventuellement activateurs de fermentation) et le sucre. Le sucre peut être apporté sous forme de sucre cristallisé, mais le plus souvent il est ajouté sous forme de liqueur ou de moût concentré rectifié (MCR).

Le réglage de la mixtion, dit calcul du point de tirage, consiste à déterminer la quantité de sucre à apporter pour obtenir la pression désirée, après prise de mousse.

Voir l’équation (A) ci-dessous.

Les volumes V respectivement du vin, levain et celui de leur mélange additionné du sucre, c’est-à-dire celui de la mixtion, sont exprimés en litres. Le volume que représente le sucre cristallisé une fois dissous ou le volume de la liqueur ou du MCR sont aussi exprimés en litres.

Les concentrations en sucre du vin de base ([sucre]vin), du levain ([sucre]levain), de la liqueur ou du MCR ([sucre]liqueur ou MCR) et de la mixtion ([sucre]mixtion) sont exprimées en grammes par litre.

Le volume des adjuvants est négligeable.

Avec du sucre cristallisé

Lorsque l’on ajoute du sucre à un vin, le volume de vin augmente : 1 kg de saccharose augmente le volume de 0,63 litre donc 1 g de 0,00063 litre.

Le volume de la mixtion est : Vmixtion = Vvin + Vlevain + (Qsucre × 0,00063)

à partir de l’équation (A) on déduit :

Avec de la liqueur ou du MCR

Le volume de la mixtion est : Vmixtion = Vvin + Vlevain + Vliqueur ou MCR

à partir de l’équation (A) on déduit :

Méthode simplifiée

Pour éviter d’utiliser les formules précédentes, il est possible d’établir des abaques permettant de déterminer la quantité de sucre, de liqueur ou de MCR à ajouter en fonction de la teneur en sucre recherchée dans la mixtion.

A partir du tableau 1, on détermine la concentration en sucre que doit avoir la mixtion ([sucre]mixtion) pour obtenir la pression souhaitée. La teneur en sucre doit être exprimée en glucose- fructose.

Connaissant la teneur en sucre du vin de base ([sucre]vin), la proportion de levain ajoutée à la mixtion (1 à 5 % en général) et sa concentration en sucre
([sucre]levain), on calcule la concentration en sucre du mélange vin + levain soit :

Tableau 1.

La concentration en sucre à ajouter ([sucre]à ajouter) par l’intermédiaire de sucre cristallisé, de liqueur ou de MCR est alors :

[sucre]à ajouter = [sucre]mixtion - [sucre]vin + levain    (E)

A partir des équations (B) et (C) citées précédemment, on peut déduire soit la quantité de sucre cristallisé, soit la quantité de liqueur ou de MCR à ajouter :

Avec du sucre cristallisé

Avec de la liqueur ou du MCR

Les abaques (tableau 3, pages 56 et 57) fournissent pour chaque teneur en sucre à ajouter ([sucre]à ajouter) la quantité de sucre cristallisé, de liqueur ou de MCR nécessaire par hectolitre (vin + levain).

Exemple

Un vin de base a une masse volumique à 20 °C de 991,6 g/dm3 et renferme 1 g/L de sucre exprimé en glucose-fructose.

Pour obtenir 8 bars de pression à 20 °C, la quantité de sucre ajoutée (par le sucre cristallisé, la liqueur ou le MCR) est de 25,4 - 1 = 24,4 g de glucose-
fructose. L’augmentation de la masse volumique Δρ est donc de 24,4 / 2,5 = 9,76, soit 9,8 unités de masse volumique.

La mixtion de tirage devra donc avoir une masse volumique à 20 °C de 991,6 + 9,8 = 1 001,4 g/dm3.

La vérification du point de tirage

Même si les calculs théoriques permettent d’obtenir la valeur souhaitée, il est important de vérifier grâce à un aréomètre, l’exactitude du point de tirage.

Cette vérification permet de s’assurer que les calculs sont exacts, que les volumes calculés ont effectivement été ajoutés et surtout que l’homogénéisation de la cuve de mixtion a été correctement effectuée.

La mesure de la masse volumique doit être faite à l’aide d’un aréomètre à 20 °C de la série 990-1005 g/dm3, précis au 1/10e.

La mesure de la masse volumique du vin et de la mixtion

Mettre le vin dans une éprouvette de 500 mL, jusqu’à 3-4 cm du bord.

Plonger l’aréomètre dans le vin, effectuer la lecture au sommet du ménisque. Introduire le thermomètre, mesurer la température du vin.

Déterminer la masse volumique à 20 °C en effectuant la correction de température d’après le tableau 2.

Après homogénéisation, mettre la mixtion dans une éprouvette de 500 mL, jusqu’à 3-4 cm du bord.

Mesurer la masse volumique et la température pour obtenir la masse volumique à 20 °C.

L’augmentation de la masse volumique (Δρ) après addition du levain et du sucre (sucre cristallisé, liqueur ou MCR) doit être égale à :

Δρ = ρmixtion - ρvin = ([sucre]mixtion - [sucre]vin) / 2,5 *

avec ρ = masse volumique à 20 °C

*Une unité de masse volumique à 20 °C correspond à environ 2,5 g de glucose-fructose.

Tableau 2. Table de correction de la masse volumique des vins secs en fonction de la température.

Exemple

Tirage de 100 hL d’un vin ayant une masse volumique de 991,6 g/dm3 à 20 °C et renfermant 1 g/L de glucose-fructose (dosage enzymatique).

Le levain est utilisé à 3 % et contient 20 g/L de glucose-fructose.

Pour obtenir un champagne avec 8 bars de pression à 20 °C, il faut que la mixtion renferme 24 g/L de saccharose, soit 25,4 g/L de glucose-fructose.

La concentration en sucre du mélange vin + levain est calculée à partir de l’équation (D) :   ([sucre]vin + levain) = 1,6 g/L.

La concentration en sucre à ajouter ([sucre]à ajouter) est obtenue par l’équation (E) :
25,4 - 1,6 = 23,8 g/L de glucose-fructose qui devront être apportés par le sucre cristallisé, la liqueur ou le MCR. Se reporter ensuite à la ligne correspondante du tableau 3, à la ligne 23,8.

Il faut simplement tenir compte du volume du vin + levain, ici 100 + 3 = 103 hL, la valeur lue doit donc être multipliée par 103.

Mesure de la masse volumique du vin et de la mixtion.

Les paramètres physicochimiques du vin de base et la population levurienne apportée par le levain

Le vin de base

Le choix du vin de base se fait essentiellement sur des critères organoleptiques. Les travaux publiés en 1999 (1, 2) montraient que la cinétique de prise de mousse n’est pas influencée par les facteurs nutritionnels, notamment l’azote.

La supplémentation systématique des vins en azote, sous forme de phosphate biammonique (10 à 20 g/hL) n’est donc pas nécessaire pour assurer la prise de mousse. Ce complément peut seulement s’avérer nécessaire dans les vins issus de moûts très carencés en azote (moins de 50 mg N/L d’azote ammoniacal), mais cette situation est extrêmement rare en Champagne (3).

Un élément qui peut être perturbateur est la teneur du vin de base en gaz carbonique (voir l’encadré page 59). Il est assez paradoxal que le gaz carbonique, moteur de l’effervescence et de la mousse, l’essence même des vins effervescents, soit un des éléments les plus perturbateurs du bon déroulement de la prise de mousse. Les vins destinés à la prise de mousse doivent donc être parfaitement dégazés avant la préparation de la mixtion.

Les travaux évoqués précédemment ont montré que parmi tous les facteurs susceptibles de perturber le bon déroulement de la prise de mousse, les plus impactants sont la teneur en SO2, le pH, la température du vin de base et celle du local de prise de mousse.

Le dernier facteur à contrôler est la population levurienne apportée et son état physiologique. Les conditions de préparation du levain seront abordées dans la deuxième partie de cet article.

Le SO2

Avant tirage, il faut être très vigilant sur la teneur du vin en SO2 libre.

Le SO2 libre ne doit jamais dépasser 10 mg/L, notamment si la teneur en SO2 total est importante (60 mg/L et plus).

Cette dose limite de 10 mg/L de SO2 libre est d’autant plus importante à respecter que la précision de ce dosage est assez médiocre (± 5 mg/L environ).

Un dosage à 10 mg/L signifie en réalité une teneur entre 5 et 15 mg/L. Il faut de ce fait proscrire les sulfitages tardifs, peu de temps avant tirage.

Le pH

Le pH limite pour obtenir une prise de mousse complète se situe aux environs de 2,8. Il est difficile de donner une valeur précise, car comme nous l’évoquerons plus loin, l’effet d’un facteur est toujours tributaire du niveau des autres facteurs.

Dès que le vin a un pH inférieur à 2,90 il faut être particulièrement vigilant. Une situation que l’on retrouve fréquemment en Champagne, après passage au froid, sur des vins qui n’ont pas fait leur fermentation malolactique.

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La température

La température est le paramètre qui a la plus grande responsabilité dans les accidents de prise de mousse.

La sensation de froid et de chaud est très trompeuse et beaucoup d’accidents interviennent en période hivernale lorsque les températures de cave, surtout si elles sont peu profondes, avoisinent ou sont inférieures à 10 °C.

Il faut en fait éviter les températures basses, égales ou inférieures à 10 °C et les températures trop élevées, plus de 20 °C, même pendant un court laps de temps.

Il est conseillé de réaliser la prise de mousse dans un local ou une cave entre 12 et 15 °C.

Les écarts de températures sont aussi à éviter, ils peuvent être importants entre le haut et le bas d’un tas de bouteilles, ou à proximité d’une porte ou d’un essor et ainsi mettre les bouteilles d’un même tirage dans des situations de températures différentes.

Le levain

Les protocoles de préparation du levain permettent d’obtenir une culture de levures avec une population levurienne d'au moins 50 à 60 millions de cellules par mL, dans un vin dont les caractéristiques sont proches de celles du vin à tirer.

Les conditions de culture déterminent la population levurienne du levain mais aussi l’état physiologique des levures, c’est-à-dire leur aptitude ultérieure à réaliser la prise de mousse dans des conditions difficiles (présence d'alcool, pH bas, température faible, etc.).

La préparation d’un levain pour un tirage ponctuel (sur une journée) est à présent facilitée grâce à l’utilisation des levures sèches actives (LSA). Elle est un peu plus compliquée pour des tirages sur plusieurs jours ou plusieurs semaines, mais réalisable avec un minimum de matériel et les schémas de propagation que nous proposons (voir deuxième partie).

Le pourcentage de levain apporté permet d’ajuster la population initiale dans la mixtion, mais influe aussi sur la population finale.

Comme cela a été montré dans l’étude publiée en 1999, l’accroissement de la population levurienne pendant la prise de mousse est constant pour un vin donné et une température donnée.

Dans l’exemple cité dans le tableau 4, l'accroissement de la population est de l’ordre de
8.106 lev./mL pour le vin 1 et seulement de 4.106 lev./mL pour le vin 2.

Pour un vin difficile ou quand la température est basse, on a donc intérêt à faire un apport de levain plus important pour atteindre une population levurienne suffisante dans la bouteille et pallier le déficit de la multiplication cellulaire dans ce vin. Un calcul simple indique que 1 % d’un levain à 60 millions de cellules par mL apporte 0,6 million de cellules par mL dans la mixtion, 5 % en apporte 3,0 millions par mL.

Tableau 4. Accroissement de la population levurienne au cours de la prise de mousse à 13 °C.

Les effets combinés des facteurs

Les accidents de prise de mousse interviennent très souvent sans qu’individuellement les facteurs décrits précédemment puissent être incriminés.

En fait l’effet d’un facteur ne peut jamais être considéré isolément. L’activité antiseptique du SO2 par exemple est très dépendante du pH et de la température. Des interactions existent entre les facteurs physicochimiques du vin eux-mêmes, mais surtout elles accroissent leurs effets sur les levures.

Une expérimentation déjà relatée dans notre revue (2), permet de parfaitement illustrer ce phénomène.

Un plan d’expérience a été réalisé avec un même vin dans lequel plusieurs paramètres ont été modifiés individuellement ou simultanément : le pH, la teneur en SO2, la température. Un même levain a été utilisé en faisant varier le pourcentage d’apport dans la mixtion, respectivement 1 et 5 %, ce qui correspond à des populations initiales de 0,6 et 3 millions de levures par mL.

Dans le tableau 5 sont reportées les caractéristiques de chaque lot et les teneurs en sucres résiduels, après six mois de tirage, pour des prises de mousse réalisées soit à 15°C, soit à 10°C.

L’effet de la température est de loin le plus important. A 15 °C, presque toutes les fermentations sont arrivées à leur terme. Il reste seulement 2,8 g/L de sucre dans l’essai F où la conjonction est la plus défavorable, à savoir pH bas, SO2 fort et ensemencement en levures faible.

A 10 °C, les effets des autres paramètres deviennent plus visibles. Celui du pH notamment, à un pH de 2,90 la fermentation est incomplète (il reste 4,2 g/L de sucre).

L’effet est accentué quand la teneur en SO2 augmente (essai B) et plus encore quand, simultanément le SO2 est fort et l’ensemencement en levures plus faible (essai F).

Tableau 5. Le plan d’expérience : niveaux des paramètres et teneurs en sucres résiduels (g/L) six mois après tirage.

Les recommandations d’avant tirage

Pour obtenir une prise de mousse complète, il faut éviter d’avoir individuellement, mais surtout simultanément des facteurs à leur niveau défavorable :

- pH bas (inférieur à 2,90),

- SO2 fort (SO2 libre supérieur à 10 mg/L surtout quand le SO2 total est supérieur à 60 mg/L), température proche ou inférieure à 10 °C,

- population levurienne, dans la mixtion, inférieure à 1 million de cellules par mL.

Quand on se retrouve dans des conditions difficiles en termes de pH et de SO2, le conseil est simple et double :

- préparer un levain très actif, titrant 60 millions de cellules par mL et apporter 4 à 5 % de ce levain dans la mixtion,

- ne prendre aucun risque avec la température. La finesse des bulles d’une fermentation à basse température est un mythe, il est préférable que la prise de mousse se fasse rapidement et complètement dans toutes les bouteilles.

Lorsque les paramètres physicochimiques du vin sont défavorables, réaliser la prise de mousse entre 15 et 18 °C pour être sûr d’achever correctement les sucres. Pour y parvenir s’assurer de la température du local mais aussi de celle des bouteilles (éviter de les stocker dehors en plein hiver) et surtout celle du vin. Il est plus simple de réchauffer un vin pour amener sa température vers 15 à 18 °C que de chauffer, de façon homogène, un local et encore plus une cave.

Une dernière astuce pour garantir le succès de la prise de mousse consiste à diminuer la concentration en sucre de la mixtion, 20 à 22 g/L plutôt que 24 g/L. Les sucres les plus difficiles à consommer sont bien évidemment les derniers !!

Bibliographie

(1) La prise de mousse - Les phénomènes microbiologiques (1re partie). Michel Valade, Monique Laurent, Pôle Technique et Environnement du CIVC. Le Vigneron Champagne, mai 1999, n° 5, p. 59-78.

(2) La prise de mousse - Les phénomènes microbiologiques (2e partie). Michel Valade, Monique Laurent, Pôle Technique et Environnement du CIVC.
Le Vigneron Champagne, juin 1999, n° 6, p. 67-89.

(3) Fermentation alcoolique et teneurs en azote des moûts. Monique Laurent, Michel Valade, Dominique Tusseau, Dominique Moncomble, Pôle Technique et Environnement du CIVC. Le Vigneron Champagne, février 2015, n° 2, p. 70-82.

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Le contenu de cet article est réservé aux Vignerons et Maisons ressortissants du Comité Champagne et aux abonnés à la version papier.

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